Certains sont venus il y a déjà plus de cinquante ans en France, pendant les « Trente Glorieuses », et ont largement contribué alors à la croissance économique du pays. Nombre d’entre eux ont exercé une activité harassante et pénible, dans le bâtiment par exemple, et beaucoup ont eu des enfants, aujourd’hui de nationalité française. Mais eux, ont toujours eu d’énormes difficultés à faire valoir leurs droits à accéder à la nationalité française. Une partie de ces 200 000 travailleurs immigrés non naturalisés, majoritairement originaires du Maghreb (même si la mesure concerne également d'autres immigrés, notamment d'origine subsaharienne) - et mieux connus sous le nom de « chibanis » (cheveux blancs ou vieux, en arabe) - verront désormais leur accès à la nationalité facilitée.
La nouvelle disposition, adoptée ce mercredi 10 septembre, a été rajoutée en commission au projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement. Elle reprend en grande partie les conclusions d’un rapport de mission d’enquête parlementaire sur les immigrés âgés.
La secrétaire d’Etat aux Personnes âgées, Laurence Rossignol, se félicite de cette mesure, qui répare une injustice à l’encontre de ces personnes âgées. « C'est un acte de reconnaissance par la République pour ces personnes âgées qui ont rejoint la France pour travailler et (y) voient leurs enfants, leurs petits-enfants grandir, explique-t-elle. Si elles le souhaitent, ces personnes âgées pourront rejoindre la communauté nationale plus facilement. C’est une mesure de justice que de leur épargner la complexe procédure de naturalisation en facilitant l’acquisition de la nationalité française. Ces personnes ont contribué à la croissance et au développement de l’industrie et vivent en France durablement, c’est ici qu’elles ont construit leur vie », ajoute-t-elle.
65 ans au moins, parents de Français, et résidant régulièrement en France
Mais cette mesure comporte cependant de nombreuses contraintes. A l’origine, elle devait permettre à tous les immigrés, parents de Français, présents sur le territoire depuis plus de 25 ans de pouvoir obtenir la nationalité sur simple déclaration. Lors de son adoption, ce mercredi 10 septembre, le rapporteur du projet de loi, Martine Pinville, a cependant ajouté un amendement, précisant que les personnes concernées devaient être âgées de 65 ans au moment de la demande. « Il s’agit d’une loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, justifie Martine Pinville, et la première version de l’amendement ne spécifiait pas de limites d’âge », ce qui créait une incohérence de fait. Pour certains observateurs, cet ajout risque cependant de créer de nouvelles inégalités, avec des plus « jeunes » ayant vécu pendant au moins un quart de siècle en France. Autre précision importante du texte, les immigrés devront justifier d’une résidence « régulière » et « habituelle » sur le territoire, une façon pour les parlementaires d’éviter d’attribuer la nationalité à des étrangers en situation irrégulière.
Toutes ces restrictions font dire à Ali el-Baz, membre du Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti), et animateur de la campagne « Justice et dignité pour les chibanis », que cette disposition se trompe de cible. A commencer par la nécessité d’être ascendant de Français. « Il y a aujourd’hui environ 100 000 immigrés âgés isolés qui vivent dans des meublés ou dans des foyers, et dont les familles sont généralement au pays, ceux-là ne seront donc pas concernés par cette disposition, explique-t-il. S’il ya des gens qui vont bénéficier de cette loi, ce sont plutôt des personnes « intégrées » comme moi, qui ont leur famille en France. Ceux qui sont célibataires n’en bénéficieront pas, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin, je trouve. »
Accès aux droits
Martine Pinville, ne nie pas ces difficultés. « Je ne dis pas qu’on règle tout, admet le rapporteur de la loi, mais dans un premier temps, nous allons permettre à un certain nombre de chibanis d’accéder à la nationalité française. Et ce sera plus facile pour eux, y compris dans leurs déplacements, dans leur accès aux droits - je pense à la santé, au vieillissement, d’accession à certains logements, etc. -. Ceux qui pourront bénéficier de cet accès à la nationalité, cela va leur permettre de vieillir plus dignement. Avant d’ajouter : c’est une très belle avancée dont nous sommes collectivement très fiers. »
Pour Ali el-Baz, cette égalité des droits est cependant loin d’être acquise. Les vieux immigrés demandent surtout, selon lui, à ce « qu’il n’y ait pas de différence entre les nationaux et les étrangers », et notamment à ce que les conditions de regroupement familial soient assouplies. « Quand on arrive à certain âge, on a besoin de personnes qui vous entourent (…) or, lorsque vous gagnez moins que le Smic [Salaire minimum interprofessionnel de croissance], vous ne pouvez pas bénéficier du regroupement familial. Vous êtes vieux, vous devez rentrer chez vous. »
Contrôles
En outre, les contrôles sociaux, qui sont très souvent effectués sur ces personnes le sont la plupart du temps en fonction du lieu de naissance. « Donc ce n’est pas le fait qu’ils aient la nationalité française qui va améliorer leur situation.
Il faut surtout arrêter ce harcèlement et ce contrôle permanent,
particulièrement de la part de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). »
Surtout, estime-t-il, il faut que cette disposition fasse l’objet d’une publicité, pour être appliquée. Beaucoup de vieux travailleurs migrants passent en effet à côté de leurs droits en raison d’une mauvaise information, affirme-t-il, rappelant l’exemple de la carte de résident permanent instaurée sous Nicolas Sarkozy, mais restée confidentielle. « Ces lois ne sont pas appliquées pour la bonne raison que les intéressés ne sont pas informés. La logique voudrait qu’on nous donne la nationalité sans qu’on en fasse la demande, poursuit-il. Au moment où l'on fait la demande de renouvellement de la carte de résident, l’administration devrait considérer que c’est bon, on a passé ici 40 ans, on a des enfants, il faut qu’ils nous la donnent, point à la ligne. »